Dans le Calvados, une manifestation pour lutter contre la disparition des services publics : « On a tout perdu, et ni nos élus ni les habitants ne se mobilisent »

Quelques centaines de personnes ont défilé au Bény-Bocage, samedi 24 mai, pour défendre leur bureau de poste, menacé de fermeture. L’initiative continuera lors d’un rassemblement festif, à Paris, samedi 31 mai.

Par Sylvia Zappi (Le Bény-Bocage (Calvados),envoyée spéciale)

Publié le 26 mai 2025 à 10h36, modifi é le 27 mai 2025 à 08h30 •

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Les deux grands barnums trônent à l’entrée du Bény-Bocage, commune déléguée de Souleuvre-en-Bocage (Calvados). L’un rouge, siglé CGT, et l’autre jaune pétant, aux couleurs de SUD. Ils semblent presque incongrus devant la petite mairie en brique rouge et le buste en bronze de Gaston-Jean-Baptiste de Renty, écrivain mystique du XVIIe siècle. Samedi 24 mai, c’est dans ce village du bocage normand, à une cinquantaine de kilomètres de Caen, que le Printemps des services publics – coalition qui regroupe syndicats (CGT, FSU, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature) et organisations non gouvernementales (Ligue des droits de l’homme, Attac, Notre affaire à tous) – a lancé une marche en forme de déambulation devant les services publics qui ont fermé ou sont menacés de fermeture.

La commune nouvelle de Souleuvre-en-Bocage, fusion de 20 villages dont Le Bény-Bocage, va perdre son dernier bureau de poste en juin, transformé en agence postale communale. En vingt ans, le bourg a vu lentement l’Etat effacer sa présence du territoire. L’antenne de la direction départementale de l’équipement a été la première à fermer, puis ce fut le centre des impôts. L’école a perdu une classe et la gendarmerie n’ouvre plus que quelques heures par semaine.

Ce symbole de la perte de la présence publique et du sentiment d’abandon qu’il génère, dans ce pays rural de vaches et de moutons, le collectif entendait en faire l’avant-première du rassemblement festif organisé à Paris, samedi 31 mai.

« On ne voit pas quand cela va s’arrêter »

Quelque 300 personnes ont répondu à l’appel, constituant une mini-manifestation avec, en tête, les collectifs locaux : le collectif de Souleuvre, celui contre la fermeture du collège de Vire ; la coordination des comités de défense des hôpitaux et maternités ; et les antennes locales des syndicats. A l’arrière, une poignée de militants du Nouveau Parti anticapitaliste et de L’Après, la petite formation de gauche issue des exclus de La France insoumise. Entre le presbytère et l’église, les sifflets tentaient de rallier les habitants postés en curieux derrière leurs rideaux et leurs portails. En vain, au grand dam de l’organisateur de l’initiative, Jean Ferrette, enseignant à la retraite.

« C’est le cinquième bureau de poste qui ferme en vingt-cinq ans sur la commune. On a tout perdu, et ni nos élus ni les habitants ne se mobilisent », déplore l’animateur du collectif local.

Cela n’empêchait pas la petite troupe de déclamer ses slogans. Sages devant –« Services publics sacrifiés, population abandonnée » –, plus enflammés derrière – « C’est pas les services publics qui coûtent cher, c’est les capitalistes et les actionnaires »–, sous les yeux d’une poignée de gendarmes.

Beaucoup sont venus des environs car le village n’est pas le seul à ressentir le retrait de l’Etat. « Le territoire subit petit à petit la disparition de la présence publique. Avec les restrictions budgétaires annoncées, on ne voit pas comment et quand cela va s’arrêter », témoigne Bérangère Lareynie, enseignante au collège Emile-Maupas, à Vire. Une professeure de français relate ainsi la fusion de son établissement, en juillet 2024, avec un autre : « C’était une décision financière et, aujourd’hui, les locaux sont à l’abandon. On est venus car on n’a pas envie que cela se reproduise ailleurs », témoigne Elise Montécot, entourée d’une poignée de collègues.

Au milieu des maisons en granit rose et gris aux jardins proprets, casquette siglée sur le crâne, un postier, membre de la CGT, narre à qui veut l’entendre comment les bureaux, que « La Poste asphyxie peu à peu » en restreignant leurs horaires d’ouverture, sont amenés à être fermés par leur direction. Plus loin, en retrait, Patrick (qui n’a pas souhaité donner son nom), petit patron venu de Vire avec des amis, se demande où l’Etat« veut emmener le monde rural » : « On vit dans un monde différent des gens de la ville. S’ils ferment ici, le prochain bureau est à 15 kilomètres. Nous, on peut se véhiculer mais ce n’est pas le cas de tout le monde », lâche le quinquagénaire.

Quarantaine d’initiatives locales

Les grosses mobilisations pour la défense des services publics de Guéret, en 2015, ou de Lure (Haute-Saône), en 2023, qui avaient réussi à mobiliser le ban et l’arrière-ban syndical local, semblent loin.« On s’en est pris plein la gueule depuis quelque temps. Les militants ont du mal à s’emparer de cette thématique et restent sur leurs revendications catégorielles », admet Nicolas Galepides, secrétaire fédéral de SUD-PTT (pour postes, télégraphes et télécommunications) venu pour l’occasion. Il est pourtant persuadé qu’à l’approche des élections municipales de 2026, la thématique va prendre. En attendant le 31 mai, les collectifs appellent à se retrouver à Stalingrad, à Paris, pour un « village des services publics » avec concerts et prises de parole. Le rassemblement viendra clore une quarantaine d’initiatives locales à travers le territoire.« On veut installer l’idée que les services publics valent le coût qui est le leur et réaffirmer le sens de l’utilité publique de l’impôt et de la cotisation sociale pour vivre ensemble », affirme Arnaud Bontemps, coporte-parole du Printemps des services publics.